Intelligence et complexité : le cas de l'Octopus
Selon la théorie de Chandra Wickramasinghe — voir notre article Origines de la vie : Origines de la vie : les rouages de la panspermie (1) — plus récemment reprise et développée dans la revue de la littérature de Edwards J. Steele (Steele et al., 2018), larges contributeurs au paradigme de la panspermie, la vie serait présente partout dans l'univers, et transportée dans l'espace par des virus et bactéries extrémophiles piégés sur les astéroïdes, comètes, météorites et autres poussières spatiales. Steele et ses collaborateurs proposent l'exemple de l'évolution de l'Octopus pour illustrer leur théorie (Partie 1 de notre article), mais les théories de Wickramasinghe et Steele ont plusieurs limites (Partie 2 de notre article).
Partie 1 : la classe des céphalopodes, modèle d'une évolution non-Darwinienne médiée par des virus extra-terrestres ?
D’après les classifications phylogénétiques actuelles, l’Octopus appartient à la classe des céphalopodes, dont l’histoire évolutive remonte à environ 500 millions d’années, à la fin du Cambrien. Les céphalopodes se subdivisent en plusieurs sous-classes, dont celle des coléoïdes, qui comprend notamment les poulpes (Octopus), les calmars, les seiches et plus de 700 autres espèces décrites.
Selon Edwards J. Steele, l’évolution des coléoïdes aurait suivi dans un premier temps un processus darwinien classique, progressif et graduel, à partir de leurs ancêtres communs, proches des nautiloïdes primitifs. Les fortes similarités morphologiques, physiologiques et génétiques observées entre les calmars, les seiches et les autres coléoïdes en constituent des témoins concordants.
L’Octopus constituerait toutefois une exception notable : sa divergence génétique vis-à-vis des coléoïdes ancestraux apparaît à la fois profonde et rapide. En un laps de temps relativement court à l’échelle évolutive, il aurait acquis un ensemble de traits remarquables : un cerveau particulièrement volumineux associé à un système nerveux hautement complexe, une vision à haute résolution, ainsi qu’une capacité exceptionnelle de camouflage par changement de couleur. Ces innovations fonctionnelles, liées à des modifications de gènes du développement, soulèvent la question de leur origine. Edwards J. Steele et ses collaborateurs ont ainsi proposé, de manière spéculative, que certains de ces gènes pourraient provenir de matériel génétique d’origine extraterrestre, introduit sur Terre par des virus véhiculés à travers le cosmos.
Partie 2 : Les limites de la panspermie virale comme moteur de l'évolution
Pour que les hypothèses de Wickramasinghe et Steele soient valides, il faudrait admettre que les virus transportés par les météorites possèdent un matériel génétique fondé sur les mêmes molécules que celui des organismes terrestres : ADN ou ARN. En effet, pour que des gènes d’origine extraterrestre puissent contribuer à l’évolution terrestre, ils devraient pouvoir être insérés par transfert horizontal dans le génome d’espèces déjà présentes, puis être reconnus, transcrits et traduits par la machinerie cellulaire de l’hôte.
Or, toutes les formes de vie connues sur Terre partagent un code génétique universel, à quelques variantes mineures près. Ce code repose sur un alphabet de quatre bases nucléiques (A, C, G, U), qui permet de coder les 20 acides aminés standards à partir de combinaisons de trois lettres (codons). La traduction de ces codons en acides aminés aboutit à la synthèse de protéines, dont la structure et les fonctions conditionnent l’ensemble des processus biologiques terrestres.
Théoriquement, à partir de ces quatre bases, il existe environ 1,5 × 1085 possibilités de codes génétiques différents, c’est-à-dire autant de manières d’associer les triplets de nucléotides (par exemple CUA) aux 20 acides aminés standards (Yarus et al., 2018). Pourtant, toutes les espèces terrestres utilisent le même code, ce qui constitue une démonstration puissante de l’origine ancestrale commune de la vie sur notre planète.
On considère aujourd’hui qu’il a probablement existé, sur Terre, plusieurs « tentatives » d’émergence de systèmes vivants reposant sur des codes génétiques distincts — qu’il s’agisse de variantes de l’actuel (parmi les 1,5 × 1085 possibles), ou même de codes utilisant un nombre ou une nature différente de bases nucléiques, produisant une machinerie cellulaire alternative.
Les lignées antérieures à celle qui a conduit à notre code génétique universel n’auraient pas survécu aux contraintes environnementales. La dernière lignée viable, fondée sur un code à 4 lettres et 20 acides aminés, a fini par s’imposer et a été conservée chez toutes les espèces actuelles. Toutefois, le fait que ce code se soit révélé optimal pour la vie terrestre ne signifie pas qu’il soit le seul possible.
Il est plausible que, dans des environnements physico-chimiques différents — sur des planètes plus anciennes ou plus jeunes que la Terre — d’autres formes de vie aient émergé, reposant sur des codes génétiques alternatifs. Les conditions locales (température, composition chimique, disponibilité en molécules) ont probablement façonné des systèmes biologiques variés. Dans ce contexte, il apparaît hautement improbable que des gènes extraterrestres reposent sur un code identique au nôtre et puissent être directement intégrés, à l’état fonctionnel, dans les cellules d’organismes terrestres. La diversité potentielle des architectures moléculaires de la vie dans l’univers suggère au contraire une incompatibilité fondamentale entre systèmes issus de planètes différentes.
Quelle preuve scientifique ?
Bien que hautement improbable, l’hypothèse de la panspermie virale proposée par Wickramasinghe et Steele ne peut être formellement exclue à l’heure actuelle. Seule la mise en évidence, sur une météorite, d’un matériel génétique fonctionnel analogue à celui des organismes terrestres — et dont l’origine extraterrestre serait démontrée sans ambiguïté, c’est-à-dire en écartant toute contamination terrestre — permettrait d’envisager scientifiquement que des gènes venus de l’espace aient contribué à l’évolution sur Terre. En l’absence d’une telle découverte, cette hypothèse doit être considérée comme une spéculation stimulante qui élargit le champ de la réflexion, mais dont la probabilité reste très faible au regard des données actuelles de la biologie et de l’astrochimie.
- 🧬 L’Octopus présente une divergence évolutive brutale et unique parmi les céphalopodes.
- 🔬 Steele et Wickramasinghe proposent une origine virale extra-terrestre de certains de ses gènes.
- 📈 La communauté scientifique considère cette hypothèse comme spéculative et peu probable.
Références
(Steele et al., 2018) Steele EJ, Al-Mufti S, Augustyn KA, Chandrajith R, Coghlan JP, Coulson SG, Ghosh S, Gillman M, Gorczynski RM, Klyce B, Louis G, Mahanama K, Oliver KR, Padron J, Qu J, Schuster JA, Smith WE, Snyder DP, Steele JA, Stewart BJ, Temple R, Tokoro G, Tout CA, Unzicker A, Wainwright M, Wallis J, Wallis DH, Wallis MK, Wetherall J, Wickramasinghe DT, Wickramasinghe JT, Wickramasinghe NC, Liu Y. Cause of Cambrian Explosion - Terrestrial or Cosmic? Prog Biophys Mol Biol. 2018 Aug;136:3-23. doi: 10.1016/j.pbiomolbio.2018.03.004.
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