Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Gènes et compagnie

Recherche scientifique, génétique, réflexions autour de l'anthropocène


Dr Guillaume Jouret
Médecin spécialiste, Médecine Génétique


Origines de la vie sur terre : la théorie de Chandra-Wickramasinghe (2)

Publié par Guillaume JOURET sur 30 Septembre 2018, 14:31pm

Catégories : #Evolution, #Abiogénèse, #Biographies

Pieuvre commune, Octopus vulgaris

Pieuvre commune, Octopus vulgaris

Intelligence et complexité : le cas de l'Octopus

Selon la théorie de Chandra Wickramasinghe (voir notre article "Origines de la vie : les rouages de la panspermie (1)"), plus récemment reprise et développée dans la revue de la littérature de Edwards J. Steele (Steele et al., 2018), larges contributeurs au paradigme de la panspermie, la vie serait présente partout dans l'univers, et transportée dans l'espace par des virus et bactéries extrémophiles piégés sur les astéroïdes, comètes, météorites et autres poussières spatiales. Steele et ses collaborateurs proposent l'exemple de l'évolution de l'Octopus pour illustrer leur théorie (Partie 1 de notre article), mais les théories de Wickramasinghe et Steele ont plusieurs limites (Partie 2 de notre article).

Partie 1 : la classe des céphalopodes, modèle d'une évolution non-Darwinienne médiée par des virus extra-terrestres ?

Selon les classifications phylogénétiques du vivant, l'Octopus appartient à la classe des  céphalopodes, dont l'histoire évolutive s'étend sur 500 millions d'années, depuis la fin du Cambrien. Les céphalopodes sont divisés en plusieurs sous-classes, dont les coléoïdes, qui regroupent notamment l'Octopus, les calamars, les sèches, et plus de 700 autres espèces.

Selon Edwards J. Steele, les coléoïdes auraient dans un premier temps évolué de façon Darwinienne et progressive à partir de leurs ancêtres communs, des nautiles primitifs. Les grandes ressemblances morphologiques, physiologiques, et génétiques, entre les calamars, sèches, et les autres membres de la sous-classe des coléoïdes en attestent.

Mais l'octopus est un cas particulier : sa divergence génétique par rapport aux coléoïdes ancestraux est très grande, et très brutale. Il a acquis soudainement, au cours de l'évolution, des caractéristiques nombreuses et étonnantes : un cerveau volumineux et un système nerveux complexe, une vision de très haute résolution, la capacité de se camoufler en changeant de couleur, etc. Ces organes modifiés, et ces nouvelles fonctions, sont codées par des gènes du développement, que Octopus aurait acquis rapidement au cours de l'évolution. Selon Edwards J. Steele et ses collaborateurs, ces nouveaux gènes pourraient être d'origine extra-terrestre, transportés par des virus à travers le cosmos.

 

L'évolution de l'Octopus et l'influence de gènes non terrestres médiés par des virus, d'après Steele et al., 2018

L'évolution de l'Octopus et l'influence de gènes non terrestres médiés par des virus, d'après Steele et al., 2018

Partie 2 : Les limites de la panspermie virale comme moteur de l'évolution

Pour que les théories de Wickramasinghe et Steele soient valides, il faudrait admettre que les virus transportés par les météorites ont un matériel génétique compatible avec celui des espèces terrestres : ADN ou ARN. En effet pour que les gènes d'origine extra-terrestre puissent être un moteur de l'évolution terrestre, ces gènes doivent être insérés, par transfert horizontal, dans le génome des espèces terrestres, puis être transcrits et traduits par la machinerie cellulaire de l'hôte.

Sur terre, toutes les formes de vies connues à ce jour partagent le même code génétique, à quelques minimes variations prêts. Ce code permet, à partir de seulement quatre bases nucléiques qui représentent les quatre lettres de notre code génétique (A, C, G, U), de coder les 20 acides aminés standards en utilisant des combinaisons de trois lettres. La machinerie cellulaire créée à partir de ces 20 acides aminés sera responsables de la structure et du fonctionnement de tout notre organisme, et de la vie sur terre.

Or à partir de ces quatre lettres (A, C, G, U), il existe 1,5x1085 possibilités de codage, c'est à dire 1,5x1085 possibilités de codes génétiques différents, pour associer des combinaisons de trois lettres (par exemple CUA) aux 20 acides aminés standards (Yarus et al., 2018). Pourtant, toutes les espèces terrestres partagent le même code, c'est à dire associent les même combinaisons de trois lettres aux mêmes acides aminés : ceci démontre l'origine ancestrale commune de toutes les espèces de vie sur terre.   

On considère actuellement que sur terre, il y a probablement eu plusieurs tentatives d'apparition de la vie, basées sur des codes génétiques différents (puisqu'il existe 1,5x1085 possibilités de codes génétiques différents avec les quatre lettres A, C, G, U), mais aussi avec un nombre de lettres différents, et des lettres différentes, créant une machinerie cellulaire différente.

Les tentatives antérieures à celles dont nous sommes issues n'auraient pas permis de survivre aux variations climatiques et environnementales. La dernière tentative, à l'origine de notre propre code génétique, a fonctionné : 4 lettres, 20 acides aminés, et un même code partagé par toutes les espèces terrestres. Mais si ce code-là a fonctionné pour nous, il n'y a aucune raison de penser qu'il s'agit du seul code qui puisse fonctionner.

Il est licite de penser que dans des conditions différentes, sur des planètes différentes, certaines beaucoup plus anciennes, d'autres beaucoup plus jeunes, de nombreuses tentatives de vie basées sur une structure physico-chimique différente et des codes génétiques différents sont survenues. Les conditions locales de température et de composition chimique des environnements de planètes éloignées ont probablement sélectionné des formes de vie variées, et à moins d'un hasard extraordinaire, il n'est pas logique de penser que le même code est apparu partout à l'identique dans l'univers, et qu'il puisse être intégré directement, à l'état fonctionnel, dans les cellules d'espèces vivant sur une autre planète, alors que la structure physico-chimique même de la vie entre les planètes est probablement extraordinairement différente.

Quelle preuve scientifique ?

Bien que peu probable, la théorie de la panspermie virale comme moteur de l'évolution de Wickramasinghe et Steele n'est pas réfutable dans l'état actuel des connaissances. Seule la découverte de matériel génétique fonctionnel sur une météorite permettrait d'apporter une réponse : si du matériel génétique semblable au notre était identifié, après vérification du fait qu'il ne s'agisse pas d'une contamination terrestre, alors l'origine extra-terrestre de la vie par panspermie, et l'influence des gènes extra-terrestre comme moteur de l'évolution sur terre pourait être envisagée scientifiquement. Dans le cas contraire, il s'agit d'une théorie intéressante qui affranchit les limites de la réflexion, mais peu probable au regard des données actuelles de la science.

Références :

(Steele et al., 2018) Steele EJ, Al-Mufti S, Augustyn KA, Chandrajith R, Coghlan JP, Coulson SG, Ghosh S, Gillman M, Gorczynski RM, Klyce B, Louis G, Mahanama K, Oliver KR, Padron J, Qu J, Schuster JA, Smith WE, Snyder DP, Steele JA, Stewart BJ, Temple R, Tokoro G, Tout CA, Unzicker A, Wainwright M, Wallis J, Wallis DH, Wallis MK, Wetherall J, Wickramasinghe DT, Wickramasinghe JT, Wickramasinghe NC, Liu Y. Cause of Cambrian Explosion - Terrestrial or Cosmic? Prog Biophys Mol Biol. 2018  Aug;136:3-23. doi: 10.1016/j.pbiomolbio.2018.03.004. Epub 2018 Mar 13. Review. PubMed PMID: 29544820.

 

(Yarus et al., 2018) : Yarus M. Eighty routes to a ribonucleotide world; dispersion and stringency in the decisive selection. RNA. 2018 Aug;24(8):1041-1055. doi: 10.1261/rna.066761.118. Epub 2018 May 21. PubMed PMID: 29785967; PubMed Central PMCID: PMC6049501.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article

Nous sommes sociaux !

Articles récents